Benoît Gadel

Séjour d’un apprenti en « Wagnérie »

Un apprenti Wagnérien

Comme je l’affirmai lorsque je me suis présenté à vous, en mai dernier, si on me demandait qui est mon compositeur préféré, je répondrais, sans hésiter : Richard Wagner. Inutile donc de vous dire qu’avoir la chance d’assister au Festival de Bayreuth était pour moi un rêve dont je n’osais espérer la réalisation. Aussi, quand Nadine Denize, mon cher professeur de chant, me proposa de me porter candidat auprès duCercle Wagner pour devenir le boursier de l’année 2014, je me mis à nourrir les espoirs les plus fous.

Le point de départ de mon aventure est un stage annuel, l’Académie Lyrique, consistant à monter et jouer un opéra en entier (ou presque). Pour l’été 2013, l’Académie Lyrique jeta son dévolu sur Die Walküre, projet audacieux qui devait permettre à des chanteurs non-étiquetés « wagnériens » de faire leurs premiers pas dans ce répertoire. C’était là une occasion rêvée. Le rôle de Wotan étant trop lourd pour moi pour l’instant, je décidai d’auditionner pour Hunding. Contre toute attente, au vu de mon gabarit et de mon âge, je fus retenu. Comme le disait ce cher Alexandre, la fortune sourit aux audacieux. Ce stage fut riche en expériences et en rencontres (Frau Eva Märtson, pour ne citer qu’elle), et me permit donc de réaliser deux rêves : chanter dans un opéra de Wagner, et être sélectionné par le CNRW de Paris, grâce à mon nouveau statut d’apprenti Wagnérien, pour assister au Festival de Bayreuth 2014.

Le séjour

Avant ce séjour à Bayreuth, ma seule expérience de l’Allemagne avait été un week-end à Hattersheim, une bourgade de la banlieue de Francfort, à l’occasion d’un échange culturel avec la ville de Sarcelles. Au-delà de la découverte du berceau du « Wagnérisme », ce festival était donc l’occasion, pour moi, de faire un peu plus ample connaissance avec ce pays si proche et pourtant si différent, où la musique dite « classique » a su garder une place prépondérante.

Suivant les conseils bienveillants d’un membre du Cercle, je décidai de passer à Nuremberg la journée précédant notre rendez-vous à Bayreuth, afin de visiter cette ville chargée d’histoire. Comme pour confirmer mon a priori sur la musique en Allemagne, je tombai en pleinBardentreffen, festival/concours de musique du monde. J’en pris donc plein les yeux et les oreilles pendant 24 heures. Après quelques saucisses et la visite du château, je me rendais à Bayreuth pour le rendez-vous des boursiers.

Tout au long de la semaine, l’accueil fut conforme à ce que j’avais vécu à Hattersheim, à la fois protocolaire, presque guindé, et très chaleureux. Curieux mélange… Je fus également bien entouré et pris en charge par deux membres du Cercle présents au Festival en même temps que moi.

Plusieurs activités nous furent proposées : visite du Festspielhaus et de sa mythique fosse d’orchestre, dépôt d’une couronne de fleurs sur la tombe de Richard Wagner, rencontres avec Kirill Petrenko et Christian Thielemann, visite de la ville, et, pour finir, le concert des boursiers. Je fus surpris de la qualité des intervenants, de jeunes Allemands pour la plupart, et par le fait qu’y participent deux anciens boursiers, aujourd’hui chanteurs reconnus, et que nous avions vus la veille sur la scène du Festspielhaus !

Moi qui pensais que Bayreuth n’existait que par et pour Wagner, je fus également ravi de faire la connaissance de Wilhelminé (prononcé ainsi par notre guide française), Markgräfin de Bayreuth au XVIIIe siècle, et à l’origine de la construction d’un des plus beaux opéras baroques d’Europe, ainsi que de Jean Paul, écrivain et poète au nom francisé.

Ce séjour fut enfin l’occasion de rencontres très enrichissantes avec les autres boursiers : un violoniste écossais, un baryton islandais, une chef d’orchestre allemande qui sévit en Suisse et à Strasbourg, sans compter les autres boursiers français avec qui je pouvais échanger dans la langue de Molière.

La Wagnérie

Évidemment, à Bayreuth, Wagner est partout. Je veux dire, littéralement partout : en statue dans la rue ou assis à la terrasse de restaurants, en vitrine dans les magasins, sur des affiches publicitaires… sans parler des nains-Wagner dans les jardins du Festspielhaus ! C’est ainsi que j’ai pris mon premier dîner en compagnie de ce cher Richard. La première fois que j’allai au Festspielhaus, pour la visite, je décidai de m’y rendre à pied – sorte de mini-pèlerinage pour honorer cette quasi-religion qu’est le Wagnérisme. 45 minutes d’un bon pas, j’avais bien mérité ma visite, mais je ne reproduirais pas l’expérience.

Comme chaque année, nous assistâmes à trois représentations (ce qui, disons-le franchement, est un luxe inouï !) : Der fliegende Holländer, Die Walküre et Lohengrin. Je connaissais déjà ces trois opéras, ce qui était une bonne chose, car j’eus la surprise de découvrir l’absence de sur-titrage, et ce n’étaient pas les mises en scènes qui permettraient à un néophyte de comprendre l’histoire, au contraire ! À propos de mise en scène, je ne m’attarderai pas sur le sujet, car il n’y a pas grand-chose à en dire qui n’ait déjà été dit. Je dirai simplement qu’averti, non pas en songe, mais par mon bienveillant membre du Cercle, je savais que je ne venais pas à Bayreuth pour « voir » des opéras de Wagner.

Effectivement, je n’en ai pas vu, je ne les ai qu’entendus, ce qui est déjà beaucoup, me direz-vous. Pour ma part, je considère qu’il en va de l’œuvre de Wagner comme du cochon, tout y est bon. J’éprouve autant de fascination pour sa musique que pour sa littérature, son sens du théâtre, les univers dans lesquels il place ses opéras, etc. L’homme qui a inventé le concept d’art total était pour moi un artiste total, et je ne conçois pas que l’on puisse amputer son œuvre de composantes qui, à mon sens, sont essentielles.

J’ai été frappé, en revanche, par la qualité de l’orchestre et du chœur. Je ne me rappelle pas avoir jamais entendu un chœur d’opéra d’aussi bonne qualité. Quant à l’orchestre, dirigé de main sûre par des chefs dont la réputation n’est plus à faire, il transpire la musique de Wagner. Christian Thielemann a su faire ressortir le côté parfois bourgeois du Hollandais, même si j’aurais parfois souhaité un peu plus d’élans dramatiques. De ce côté, j’étais comblé par la direction fougueuse et passionnée de Kirill Petrenko dans La Walkyrie. Je pense que la rencontre avec ce monsieur a été le point culminant de mon séjour à Bayreuth. Celui qui avait transcendé l’orchestre du festival se révélait être, sorti de sa fosse, un petit bonhomme presque dénué de charisme et dont l’humilité et la disponibilité n’avaient d’égal que le talent. Une leçon à méditer.

Concernant les solistes, autant le dire tout de suite, je suis extrêmement difficile : j’ai une fâcheuse tendance à comparer chaque chanteur que j’entends à un idéal de perfection que j’imagine pour tel rôle ou répertoire… cela rend mon jugement généralement sévère. On m’avait dit que certains grands chanteurs renonçaient à venir à Bayreuth à cause, notamment, de calendriers très exigeants. De fait, les distributions étaient assez inégales, et les déceptions (Hollandais, Wotan, Erik) côtoyaient les bonnes surprises (Senta, Hunding, Elsa, Ortrud). Par ailleurs, je craignais, ayant à faire à de vrais Wagnériens, d’entendre des mastodontes vocaux aux voix fatiguées, ou même abîmées, se livrant à un concours de décibels. Il n’en a rien été, et c’est là qu’entre en scène la fameuse acoustique du Festspielhaus. L’équilibre qu’elle procure entre l’orchestre et les chanteurs permet à ceux-ci de chanter sans avoir à forcer, de nous gratifier de nuances somptueuses, et de jouer la carte de l’expressivité. Evidemment, la puissance des voix y est pour quelque chose, mais on peut dire qu’il y a une véritable école deBayreuth, qui met l’accent sur le fait de dire le texte, de raconter, et j’ai pu en profiter pleinement, connaissant de longs passages de La Walkyrie par cœur. J’en avais eu un aperçu en travaillant avec Mme Märtson, et j’ai entendu, à Bayreuth, ce que cela peut donner avec de grands artistes.

Au final, ce séjour en terre wagnérienne a été d’abord un plaisir de tous les instants, l’accomplissement d’un rêve qui paraissait inaccessible, et une source de rencontres toutes plus intéressantes les unes que les autres. J’ai quitté le Festival riche d’enseignements qui me nourrissent dans ma façon d’aborder mon propre répertoire, et j’attends avec impatience une nouvelle occasion de les mettre en pratique dans un opéra de Wagner. Pour tout cela, je souhaite remercier, du fond du cœur, tous les membres du CNRW de Paris qui m’ont permis de vivre cette expérience unique, et en particulier ceux qui m’ont entouré et guidé avant, pendant et après le festival, et qui se reconnaîtront.

Benoît Gadel