Wagner supercondriaque

Conférence donnée par Pascal Bouteldja,
le 17 novembre 2019, au Cercle National Richard Wagner – Paris

 

Séparer l’humain et l’œuvre. Éternel pro­blème, et particulièrement prégnant dans le cas de Richard Wagner ; certains le détestent tant qu’ils ne veulent même pas l’écouter, cet égo­cen­tri­que antisémite, prompt à piquer la femme de ses amis et protecteurs. Et qui lui-même asso­ciait l’homme et l’artiste, ce qui le rend indéfen­dable…

Portrait-charge de Wagner
publié le 1er avril 1882 par le journal Moonshine
dans sa « Galerie des beautés professionnelles »

Une façon originale d’aborder l’homme, c’est par le biais de son histoire clinique. Est-ce pos­si­ble, un siècle et demi plus tard ? Oui, car Wagner n’a jamais cessé de parler de sa santé ; sa correspondance est truffée de détails, parfois peu appétissants… Le journal de Cosima, tenu au jour le jour, nous renseigne également : « aujour­d’hui, Richard n’est pas bien… ». Mais, l’on peut aussi affirmer que ces désagréments cons­tants n’ont pas influé sur son travail, con­trai­re­ment aux grands syphilitiques du siècle (Nietzsche, Hugo Wolf, Maupassant…), que la maladie a conduits à la dégénérescence intellec­tuelle. « Il se plaint du bas-ventre, et écrit des choses pareilles », Liszt dixit…

Wagner a été un enfant chétif, colérique, pleur­nichard et sujet aux terreurs nocturnes, né pendant la bataille des Nations, où son père meurt du typhus. Il a, lui-même, contracté le typhus. Ensuite, il a plutôt été un adulte robuste, comme le prouvent ses randonnées alpestres. Mais, ce qui est avéré, c’est qu’il était cardiaque, et qu’il est mort d’un infarctus du myocarde. On peut même affirmer que la rupture a eu lieu dans le ventricule droit. En effet, le corps de Wagner devant être transporté pour être enterré en Allemagne, il a été embaumé, et le méde­cin a pu voir un cœur enrobé de graisse, avec un trou dans ce ventricule. Et pourtant, ses symp­tômes étaient clairs ! Les signes d’angine de poitrine auraient dû alerter ses médecins ; d’autant plus que la trinitrine commençait a être employée avec succès. On peut supposer que, Wagner se plaignant de tout, le récit des dits symptômes était enrobé dans mille détails inutiles, qui se superposaient à l’essentiel !

A part les crises de goutte et les rhumatis­mes venant avec l’âge, Wagner s’est plaint toute sa vie de troubles intestinaux et de douleurs diges­ti­ves, ainsi que d’hémorroïdes. Il avait aussi un érésipèle récidivant au visage, se traduisant par des rougeurs, des gonflements et des dou­leurs. Une année, il a eu jusqu’à treize crises ! On sait aussi qu’il a eu un furoncle à la jambe « j’espère que l’abcès de Parsifal le fera moins souffrir que la plupart des représentations de ses œuvres », Liszt, encore…

Cet hyperémotif relie lui-même ses mani­fes­ta­tions d’anxiété ou de surexcitation à son tempérament d’artiste. On peut cependant être, là encore, affirmatif : Wagner n’était pas hypo­con­dria­que au sens clinique du terme, ce qui aurait été une véritable maladie mentale.

Sur ce portrait, on voit bien une déviation
de l’œil gauche en dehors et en haut,
appelée hyperéxophorie
« Ce portrait m’est souverainement antipathique
et j’ai déclaré que là-dessus j’avais l’air d’un Marat
sentimental.
» (lettre à Mathilde Wesendonck)

Il se plaint aussi de maux de tête, que l’on sait maintenant lier à des troubles visuels. On le voit très bien sur les photos : son œil gauche, par moments, dévie en haut et en dehors (hyperexo­pho­rie, à ne pas confondre avec un strabisme permanent). Par ailleurs il était myope et astig­mate. A partir du moment où il porte des lunet­tes, ses maux de tête s’améliorent grandement.

Mais il faut aussi constater que Wagner a toujours préféré les charlatans, les « empiri­ques », aux médecins sérieux. Il reconnait lui-même que « les médecins vivent de nos sotti­ses ». Il découvre l’hydrothérapie, et en devient un fervent pratiquant. Attention : il ne s’agit pas du thermalisme, avec l’usage d’eaux aux propri­étés thérapeutiques, mais bien de l’application d’eau ordinaire sous toutes ses formes (bains, bains de siège, lavements, enveloppements humi­des)… Mornex, Albisbrunn… Il en revient persuadé d’être en excellente forme.

Heureusement (pour lui), entre ces pério­des de diète aqueuse, Wagner était un bon vivant, un gros mangeur (pas adepte des plats légers), et un solide buveur : bière, bordeaux, vins mousseux allemands… ou en provenance de Saint-Péray, en Ardèche, et le champagne de Paul Chandon (future maison Moët & Chan­don)… Il prisait, et fumait, le cigare, quand il pouvait s’approvisionner chez les bons amis Wesendonck ou Bülow…

Bref, on le voit, Richard Wagner était juste un homme comme nous autres, inquiet des mala­dies, mais incapable de faire ce qu’il faut pour les prévenir ! Et si vous voulez approfondir la question, reportez vous au livre Un patient nommé Wagner !

Anne Hugot Le Goff