Le Ring de Dessau

Du 13 au 17 mai 2015, Dessau-Roßlau, Anhaltisches Theater

 

Appelé le « Bayreuth du Nord », l’Anhaltisches Theater de Dessau compte plus de 150 ans de tradition wagnérienne : Tannhäuser est la 1ère œuvre jouée, le 20 mars 1857, puis le Ring, en 1893. Wagner, lui-même, y est venu en 1872, pour promouvoir ses idées pour un festival. Les principales œuvres de Richard Wagner sont depuis régulièrement au réper­toire de ce théâtre.

Le Ring proposé au cours du congrès de mai 2015 est totalement nouveau. Ce projet, né en 2009, et présenté, dans le désordre, de 2012 à 2015, est un « Bauhaus Ring », combinant ce qui fait l’héritage culturel de Dessau : le rapport avec Wagner, d’une part, et le mouvement du Bau­haus, d’autre part. Il est, cette fois, donné en intégralité, et dans l’ordre chronologi­que.

Façade de l’Opéra de Dessau

André Bücker, également directeur du Théâtre de Dessau, est un fabuleux metteur en scène, inventif et cohérent dans sa pensée. Le fil rouge de sa mise en scène est l’image. Il utilise les dernières techniques audio-visuelles (vidéo, informatique) pour traduire les situa­tions et les sentiments des divers protagonistes, selon la philosophie des artistes du Bauhaus. Les volumes sont stylisés autour du cube (cube doré de l’or du Rhin, rocher de Brünnhilde) et du cercle (anneau, rideau semi-circulaire à 2 pans). Les scènes de drame et de pure comédie, voire de burlesque, alternent.

Les costumes de Suse Tobisch s’inspirent des formes d’Oskar Schlemmer, scénographe du ballet allemand, et notamment de son Ballet triadique.

L’Or du Rhin est un voyage à travers l’his­toire de l’art et du cinéma muet. La projection de silhouettes, sur une toile, doublant les person­na­ges sur scène, renforce la situation comique. Les costumes blancs, très réussis, et les robes à tournure, rappellent l’époque où Wagner a visité Dessau.

Le 1er acte de La Walkyrie est glacial et dépourvu d’émotion, ce qui est le comble, pour un acte aussi intense. Le frêne est représenté par un énorme câble déconnecté du circuit originel, Sieglinde et Siegmund se mouvant comme des individus de film muet.

Les artistes de La Walkyrie
le 14 mai 2015

L’action s’anime au 2e acte. André Bücker part de l’idée que Wagner, s’il était né 50 ans plus tard, aurait été cinéaste, et que les élé­ments hollywoodiens contenus dans son œuvre auraient, plus tard, inspiré le cinéma. Wotan est donc vu comme un metteur en scène d’un studio d’Hollywood, entouré des bobines de ses films et de ses récompenses. Brünnhilde est une « script » qui va superviser le tournage, en direct, des amours des jumeaux, sur fond de décors de films. Mais la Walkyrie va détourner la fin du scénario, en déchirant la dernière page pour la réécrire.

Au 3e acte, après une fête bien arrosée chez les Walkyries métamorphosées en star­lettes d’un soir dans un « bar branché », ce décor se transforme en rocher de Brünnhilde.

Dans Siegfried, le metteur en scène pré­sente le héros comme un être vierge et révolu­tion­naire. Devant sa PlayStation, Siegfried est un consommateur compulsif de jeux vidéo. Les protagonistes deviennent même des pions sur l’échiquier informatique. Au moyen d’un pro­gramme, Siegfried va procéder, sur grand écran, à la résurrection de Notung. C’est à la fois long et fastidieux. D’ailleurs, cette débauche de vidéo est le point faible du 1er acte de Siegfried. En outre, la voix de Jürgen Müller (Siegfried) est difficile à supporter : stridente, raide et forcée, sans aucune nuance.

Les artistes de Siegfried
le 15 mai 2015

Au 2e acte, la géométrie du Bauhaus est reprise dans la conception des costumes (Fafner enfermé dans des lances, l’oiseau, dans un double cercle lumineux, et Erda, dans une crinoline).

Les Gibichungen du Crépuscule des Dieux sont des automates, avec une gestuelle « à la manière de Bob Wilson » et des tremblements parkinsoniens… Le dispositif scénique (3 ascen­seurs qui montent et descendent sans cesse) est énervant. En revanche, les éclairages sont magnifiques, et les projections de tableaux célèbres sont très inspirées. Le rocher de Brünnhilde s’ouvrant en mille-feuille est une jolie image. Le final est émouvant : un petit Siegfried, embryon dans un cube de verre, remet l’anneau à Brünnhilde pour être restitué aux Filles du Rhin, et revient seul sur le devant de la scène, comme un symbole du renouveau.

La troupe (solistes et chœurs) est d’un excel­lent niveau, et recèle même de merveilleu­ses surprises : le baryton Ulf Paulsen (Wotan et Gunther), malgré un timbre nasal, a une voix vibrante et une énergie inépuisable. C’est, de plus, un remarquable acteur. La mezzo-soprano Rita Kapfhammer rayonne dans les rôles de Fricka, Erda, Waltraute et Flossilde, avec un tim­bre somptueux, une intonation souple et une intensité dramatique phénoménale. La soprano dramatique bulgare KS Iordanka Derilova est une belle Brünnhilde. Avec sa silhouette souple et juvénile, elle campe une jeune guerrière avec une présence scénique fascinante. C’est une véritable chanteuse-actrice, possédant une puissance vocale et une incroyable diversité dans les gestes et le langage du corps. Habituée du répertoire verdien, elle aborde le rôle avec beaucoup de lyrisme. On aurait aimé entendre plus longue­ment la jeune mezzo Anja Schlosser, la Erda du prologue.

Le chef néerlandais Antony Hermus est, depuis la saison 2009/2010, le directeur musical et le chef principal de l’Opéra de Dessau. À la tête de l’orchestre Anhaltische Philharmonie, il a grandement contribué au succès de cette production, avec un enthousiasme qui lui a attiré la sympathie du public.

Ce Bauhaus Ring, à la fois historique et très moderne dans sa conception, a séduit ou irrité, selon les goûts et les attentes de chacun.

Chantal Barove

avec l’aide amicale de Christiane Guillard et Stephan Adler pour la traduction des informations figurant dans le programme