Séverine Maquaire

Après douze heures de train, l’arrivée à Bayreuth commence bien : une dame charmante me propose de me conduire en voiture à la Stadthalle où je dois récupérer mes documents et prendre mes premiers contacts avec la Stipendienstiftung. Je rencontre tout de suite un boursier genevois qui m’explique l’organisation et qui m’aide lorsque mes compétences germanistiques ne suffisent pas. Je passerai d’ailleurs beaucoup de temps avec les francophones.

Je ne peux malheureusement pas assister à la conférence sur Lohengrin mais un déjeuner avec tous les boursiers m’attend. Les intermédiaires de la fondation nous évoquent les pays en présence : toute l’Europe, l’Amérique, le Japon, le Kosovo et même Bangkok ! Puis je prends mes quartiers dans une chambre très confortable à l’internat avant de repartir pour le spectacle. Les journées vont passer très vite, car les spectacles commencent à 16 heures et tout s’organise autour de ce moment.

L’arrivée au Festspielhaus dépasse mes espérances : outre le cadre très agréable, où tout fait envie (bretzels, saucisses, boissons…), je suis émerveillée par la salle. Je sais bien ses particularités, mais quand la musique commence, on est vraiment saisi par l’acoustique. J’ai la chance d’être très bien placée, bien en face de la scène, au fond. Le son est vraiment magique dès les premières notes : c’est un mélange de puissance et de douceur, tout est limpide. Et c’est la même chose pour le chant : c’est bien la première fois que je vois et entends intelligiblement des chanteurs faire des tirades entières de dos au public ! Une chose me manque en revanche, malgré mes révisions : les surtitres ; je me rends compte à quel point on s’y habitue, et à quel point cela peut nous divertir de l’action. Heureusement, nous introduisons un petit rite avec mes camarades français, que nous poursuivrons tout au long du séjour : nous nous retrouvons avant chaque acte pour faire une petite lecture de ce qui va suivre.

Je suis étonnée par le contraste entre l’aspect classieux (sic) du festival et son côté bon enfant : on mange des saucisses en robe de soirée et on tambourine des pieds pendant vingt minutes pour rappeler les artistes ! Pour ce qui est de la mise en scène de Keith Warner, elle est assez classique et de bon goût, lisible, et laisse bien le champ à l’écoute des leitmotivs. J’apprécie beaucoup les voix, qui sont puissantes et souples à la fois, particulièrement celle de Petra-Maria Schnitzler (Elsa) qui ne correspond pas à l’image que je me faisais d’une voix wagnérienne mais qui en assume parfaitement les exigences.

Le deuxième jour est sans concert, mais nous en profitons pour visiter la ville, Wahnfried, ainsi que l’opéra des Margraves, magnifiquement baroque et à l’opposé de la conception wagnérienne. Nous nous divisons en plusieurs groupes : deux germanophones et un anglophone, auquel je me joins pour plus de confort et qui me donne de plus l’occasion de faire la connaissance des boursières hongroises. Le soir, un grand banquet nous attend à l’internat, et après des débuts timides, chacun (surtout les chanteurs, qui sont en force) veut donner sa contribution musicale à la soirée. Personnellement, je préfère écouter, et me réjouis d’un « Toréador, prends garde » très amusant.

La seule conférence d’introduction à laquelle j’ai pu assister est celle de Philippe Olivier sur Parsifal ; je le trouve passionnant, et ses éclaircissements seront très utiles vu ce qui nous attend. Avec ces quelques clés en main, j’essaye de suivre la mise en scène surchargée de Christophe Schlingensief et de ne pas oublier que j’écoute une musique superbe, magnifiquement dirigée par Pierre Boulez ; mais il est vrai qu’on est tellement assailli d’images à déchiffrer qu’on en oublie parfois l’essentiel. Et dire que la mise en scène est simplifiée par rapport à l’an dernier ! En revanche, je suis tout de même choquée par les huées à la fin du premier acte sans même une seconde de silence ! La suite de l’opéra se déroule de la même façon, et il ne faut pas oublier la magnifique prestation des interprètes, chanteurs, choristes et musiciens. J’ai un petit faible pour le Gurnemanz de Robert Holl, qui n’est pas trop desservi par la mise en scène.
Cette journée marque aussi ma rencontre avec notre participante au concours des voix wagnériennes : Diana Higbee. Je n’ai malheureusement pas pu l’entendre mais elle me fait part de ses impressions, ainsi que Paulina, boursière du CNSM de Lyon, qui est également venue passer le concours.

Il est dommage que la visite du Festspielhaus et la rencontre avec Wolfgang Wagner tombent en même temps que la conférence de Philippe Olivier pour le dernier jour, mais mon choix est vite fait : je suis vraiment impatiente de visiter cette fameuse fosse d’orchestre ! J’ai du mal à comprendre toutes les explications mais je profite pleinement de ces lieux, vides, qui vont se remplir de nouveau dans quelques heures pour mon spectacle le plus marquant : Tristan et Isolde. La mise en scène de Christoph Marthaler me plaît beaucoup malgré son aspect statique ; ce soir-là, j’ai trouvé une réelle intensité de jeu, de sens, qui passait par les silences, les non-dits. C’était beau et poignant et porté par Nina Stemme, une Isolde bouleversante. Je suis vraiment prise physiquement par sa musique et son interprétation. En revanche, la direction est un peu grossière à mon goût, l’orchestre poussé, ce qui nous vaut une anecdote qui restera paradoxalement pour moi le moment le plus émouvant de mon séjour à Bayreuth : Tristan, à la toute fin de sa prestation a été pris d’une terrible quinte de toux, mais il était tellement dans l’interprétation qu’il ne s’agissait pas là d’un problème de chanteur mais bien d’une terrible agonie ! Le public ne s’y est pas trompé, et les applaudissements étaient en conséquence. En revanche, le chef a été hué, mais il a fait saluer l’orchestre sur scène, ce qui nous a permis de voir qu’on joue aussi bien en chemisette et pantalon de toile qu’en frac !

La dernière journée sera bien tranquille pour moi qui attends le soir pour repartir : tous mes camarades ont rejoint leurs destinations ; mais Bayreuth est plein de surprises et je trouve une camarade, encore inconnue, du Cercle de Paris, dans le train, Fleur Nabert.

Pour finir, je voudrais bien sûr remercier tous les membres du Cercle qui m’ont permis de faire ce voyage, merveilleux pour la jeune chanteuse que je suis, et tout particulièrement, M. Pierre-Louis Cordier et Mme Annie Benoit, qui ont été mes deux présidents pour cette première année au cercle, ainsi que Mme Nicole Colas qui s’est occupée avec moi de l’organisation de ce voyage.

Séverine Maquaire