Charlotte Loriot

Mon pèlerinage à Bayreuth : wagnérofolie !

Après quelques jours passés chez des amis à Munich puis une soirée dans la ville pittoresque de Nuremberg, me voici prête pour Bayreuth. Le retour vers Paris se fera aussi en douceur, avec un petit séjour chez un ami berlinois. L’immersion dans l’univers wagnérien s’opère immédiatement, dès mon arrivée à Bayreuth le quatre août : nous sommes conviés à un verre d’accueil, avant de nous rendre à un concert donné par quelques boursiers, associé à un buffet fort convivial. L’assemblée des boursiers est étendue, bigarrée, animée, composée principalement d’Allemands venus de diverses Musikhochschulen mais aussi d’étrangers originaires de plus de quarante pays. Je sympathise rapidement avec deux représentantes du Conservatoire de Genève, deux Autrichiennes et un chanteur argentin résidant en Italie, qui deviendront mon « petit noyau dur ». Mon séjour sera ponctué par d’autres discussions sympathiques avec des Allemands de toutes les villes, un groupe d’Italiens, trois Russes, deux Françaises, un Israélien et même l’heureuse élue du cercle Wagner d’Hawaï !

Les rencontres, avec le va-et-vient linguistique qu’elles occasionnent, produisent de singuliers mélanges : au sein d’une conversation, nous pouvons mêler allemand et anglais, français et italien et même employer le langage des signes ! Une vraie tour de Babel. Avec la fatigue du premier soir, je finis par m’embrouiller, mais peu importe. Nous sommes tous heureux d’être réunis à Bayreuth et partageons la même passion. « Wagner », ce nom se comprend dans toutes les langues.

Les trois journées suivantes se dérouleront de manière similaire : conférence à 10h30 suivie d’un déjeuner, temps libre (sieste ou musée selon l’humeur) et enfin à 16h, le sommet tant convoité avec la représentation au Festspielhaus. Successivement Les Maîtres chanteurs, Lohengrin et Parsifal. Le Festival comporte incontestablement une dimension rituelle, avec ses pèlerins et ses habitudes : il « faut » gravir à pied la « Colline sacrée » sur laquelle se dresse le Festspielhaus, il « faut » ouïr la fanfare qui annonce l’imminence du spectacle, il « faut » se recueillir dans l’obscurité de la salle, il « faut » déguster une petite saucisse après le premier acte…

De loin, cet aspect rituel peut irriter ou fasciner, mais sur place, on ne cherche pas à prendre de recul. Chaque geste semble nécessaire : on se laisse docilement griser par le jeu et immerger dans cette atmosphère. Il ne saurait en être autrement ! Avec nos journées organisées autour de Wagner, les deux entractes d’une heure où l’on parle de… Wagner, nous sommes plongés dans la logique du Festival et dans ce que des décennies d’habitués ont forgé. Instrumentistes, régisseurs, musicologues, chefs d’orchestre, tous musiciens, nous échangeons et confrontons nos impressions. Nombre de boursiers sont chanteurs : ici on commente telle émission vocale, là tel trait difficile, plus loin l’interprétation de Kaufmann dans Lohengrin. Wagnérofolie. Le culte wagnérien finit par sembler une évidence naturelle : existe-t-il vraiment autre chose que la musique, le chant, l’opéra et Wagner ?

Je me mue moi-même, ce qui n’était pas au programme, en pèlerine-randonneuse. Je n’ai pas été logée dans l’internat comme la majorité des boursiers mais avec quelques autres dans un hôtel excentré et nous ne disposons ni de bus ni de taxis à proximité. Nous devons marcher une petite heure pour atteindre notre but. Passés l’agacement et l’inconfort d’une promenade imprévue dans des tenues inadéquates pour la randonnée, l’émotion nous submerge avec un compagnon de route, lorsqu’approchant du saint lieu, nous apercevons les premiers smokings et robes de soirée et distinguons bientôt une foule bruissante à l’approche du Festspielhaus. Je ne regrette nullement cette marche.

Le public du premier soir est partagé devant la mise en scène de Katharina Wagner. Le tableau est presque amusant : tandis que certains applaudissent avec ostentation, une partie du public hue la jeune arrière-petite-fille du maître (ici, on dit « booooooo ! »). Sa mise en scène est certes provocante, avec un Walther devenu peintre d’art contemporain, mais aussi intelligente et espiègle. Elle déjoue avec inventivité clichés et lieux communs et parvient à faire ressortir la dimension comédie, acte courageux qui n’est pas pour me déplaire.

Le deuxième jour, il pleut. La randonnée sous la pluie me fait réaliser les autres facettes du mot « pèlerin ». J’aurais pu partager un taxi, mais non, j’ai voulu marcher tout de même. Il faut mériter Wagner ! La mise en scène est en harmonie avec le temps morose et des rats envahissent le plateau dès les dernières notes du prélude de Lohengrin. Une mise en scène décidément controversée, comme souvent à Bayreuth.

Parsifal, le troisième jour, constitue en revanche un apogée, voire même, si je puis me permettre, un Graal. Le temps est superbe, l’atmosphère magique entre les boursiers (c’est le dernier soir). La représentation séduit le public : les chanteurs comme la direction d’orchestre, les instrumentistes comme la mise en scène recherchée et somptueuse. Ce soir-là, je décide de rentrer seule à l’hôtel, je désire prolonger ce moment. J’apprendrai le lendemain matin que nous sommes plusieurs à avoir procédé de même. Il est vain de traduire avec des paroles ce que l’on peut ressentir lorsque tout est réussi. J’y renonce.

Juste un dernier mot : un immense merci à tous les membres du Cercle Wagner qui m’ont offert ce voyage inoubliable, avec une pensée toute particulière à Henry-Pierre Blottier et à Annie Benoit.

Charlotte Loriot