François Vassogne

Nach Bayreuth ! Nach Bayreuth !

Septembre 2011 : Prenant une grande inspiration avant une apnée que je savais décennale, j’envoyais à Bayreuth ma première demande de réservation de places pour le festival, en me demandant pourquoi je ne m’y étais pas mis plus tôt. Avril 2012 : Evidemment, et malgré tous les espoirs qu’on ne peut s’empêcher de nourrir en pareil cas, pas de réponse de Bayreuth ; je me résigne, bien sûr. Dimanche 13 mai 2012, 23h36 : Je reçois un mail d’Annie Benoit : « seriez-vous libre du 7 au 12 août de cette année ? » Bayreuth ressemble sans doute à un conte de fées chaque fois qu’on y va, même au bout de la trentième, mais là…

En guise de prologue, je profite de ce séjour allemand pour revoir un ami bavarois, et nous visitons, tous deux, à Nuremberg, une magnifique exposition consacrée aux œuvres de jeunesse d’Albrecht Dürer. Pas de Maîtres chanteurs, cette année, à Bayreuth, mais les peintures et gravures de Dürer les ont rendus plus présents que jamais à mes yeux.

Puis Bayreuth, où les deux premiers boursiers que je rencontre, par hasard dans la rue, et que j’aborde en allemand, sont évidemment les deux autres Françaises… Après avoir pris mes quartiers dans l’internat, je pars me promener en ville plusieurs heures, pour m’imprégner de l’air des lieux, non sans chantonner un peu de Donizetti, par pur esprit de contradiction. Ma soirée se termine dans un Biergarten typique, où un simple assortiment de pommes de terre, de lard et de bière m’apporte un bonheur indicible. Je suis à Bayreuth.

Le lendemain, commence la série des représentations. Je découvre le théâtre de Wagner et son acoustique, avec l’onirique prélude de Lohengrin – que rêver de mieux ? J’ai, de surcroît, la chance, pour cette première, d’être très bien placé. Je peux donc percevoir au mieux la technique et les moyens vocaux de Klaus Florian Vogt, dont je regrette néanmoins l’interprétation, peu passionnée à mon goût. Quant à la mise en scène, elle ne me surprend pas, puisque j’avais déjà découvert la production, l’été précédent, à la faveur d’une retransmission sur Arte. J’étais peut-être un de ces rats de laboratoire soumis à une expérience de théâtre, mais un rat vacciné ! Je reste tout de même gêné par le comique à contretemps (si tant est qu’il y ait des moments comiques dans Lohengrin…), et surtout par l’absence de beauté visuelle du spectacle, qui me pousse à fermer souvent les yeux pour que la musique n’en soit pas gâtée. Car, quoi qu’en pensent nos metteurs en scène, l’œuvre de Wagner, qu’ils sont censés contribuer à recréer, appartient à un moment de l’histoire de l’art où le Beau est encore le point cardinal, et l’on peut légitimement regretter que la plupart des mises en scène, bien loin de s’atteler au difficile exercice de la recherche de cette beauté, préfèrent la facilité du commentaire prosaïque et froid ; celle-ci, comme une autre, si « intéressante » fût-elle, offrait avant tout le très désagréable spectacle de la beauté bafouée.

Puis vint Tannhäuser : Autre mise en scène, même laideur. J’eus d’abord des inquiétudes pour la musique aussi, tant l’ouverture, dirigée par Christian Thielemann, me sembla lourde : le Wagner qu’on n’aime pas. Les tempi étaient étranges, l’ensemble assez décousu, trop démonstratif, et même les magnifiques solos, où l’on pouvait entendre le jeu exceptionnel de l’élite musicale rassemblée à Bayreuth, étaient presque gâchés par l’impression que le tempo était exagérément ralenti dans le but de nous les faire bien entendre. Certains boursiers étaient de mon avis, d’autres non, ce qui engendra un beau débat. Je m’interroge encore sur le choix de la version de Dresde, où la transition après l’ouverture, sans la bacchanale, est à mon avis moins fine et moins riche. Quand un compositeur aussi « allemand » que Wagner emploie des castagnettes, cela mérite d’être entendu, et le chant des sirènes est bien plus alliciant dans la version de Paris (son péché est-il d’être « de Paris » ?). Je dus attendre les deux actes suivants pour apprécier vraiment la direction. Torsten Kerl était plus convaincant en Tannhäuser qu’en Siegfried à Paris, et Günther Groissböck en landgrave était, en sus du superbe plateau des premiers rôles, un complément de luxe. Une fois de plus, j’ai beaucoup fermé les yeux pour profiter de la musique et des voix magnifiées par l’acoustique, et oublier l’aspect visuel d’une mise en scène dont j’avais entendu pis que pendre, mais qui ne m’a pas paru plus terrible que celles dont Bastille nous gratifie régulièrement – j’ai constaté qu’en revanche les boursières françaises, venues de province, étaient plus déconcertées.

La mise en scène de Parsifal, quoiqu’un peu chargée (le « drame sacré » me semble appeler un certain dépouillement), avait, au moins, le mérite de rechercher une valeur esthétique, et je me souviendrai de quelques belles images. Des idées-forces séduisantes, comme le mouvement harmonieux des décors suivant les allers-retours entre l’action et l’enfance de Parsifal (ici le temps devient espa-ce !), finissaient malheureusement par être répétitives, et l’emploi du lit escamotable, au bout de la vingtième fois, vraiment pesant. On pourra peut-être aussi regretter la (rapide) référence au nazisme, une tarte à la crème un peu agaçante. Rien à redire, en revanche, aux chanteurs et à l’orchestre de Jordan, d’une qualité imperturbable. En cette fin de séjour, la fatigue commence à se faire sentir, mais Wagner et ses merveilleux interprètes ont le don de vous la faire oublier.

Chacune de ces représentations fut émaillée de rencontres, de discussions avec les membres du cercle de Paris, que j’ai pris grand plaisir à retrouver, et avec les autres boursiers. Nous avions tous des profils différents : beaucoup de chanteurs, des instrumentistes, des chefs, des metteurs en scène, des musicologues, qui apportaient avec eux les traditions culturelles de leurs pays respectifs ; nos échanges, enrichis par cette diversité d’approches, étaient donc passionnants. C’est d’ailleurs cela qui a, pour moi, transcendé l’expérience de Bayreuth. Un art aussi puissant que celui de Wagner ne peut pas être gardé pour soi, il faut le partager, et les longs entractes en fournissaient une occasion très agréable, à la lumière du soleil déclinant derrière la « colline verte ».

Les représentations étaient accompa-gnées, tout au long de la semaine, par diverses activités (réception au Festspielhaus et à l’hôtel de ville, visite du théâtre et de la ville, conférences, repas en commun à la Stadthalle, concert des boursiers), qui ajoutaient encore au charme du séjour. L’organisation, parfaite, nous mettait très à l’aise, et nous permettait de tirer le meilleur possible d’un voyage déjà extraordinaire. Nous avons eu notamment la chance de rencontrer Klaus Florian Vogt, qui nous a expliqué sa conception du rôle de Lohengrin et de son métier en général. En un mot, ces quelques jours furent la réalisation d’un rêve au-delà même de ce que j’avais pu rêver.

Je ne remercierai jamais assez Annie Benoit pour ce merveilleux cadeau, ainsi qu’Henry-Pierre Blottier, qui a soutenu ma candidature et a guidé mes premiers pas vers Bayreuth. J’aurais aimé que tous les adhérents du cercle, pour mesurer ma gratitude envers eux, eussent pu ressentir le terrible mal de ventre qui m’a saisi au moment de quitter Bayreuth, comme si ces lieux enchantés me retenaient par les entrailles. De retour à Paris, un mois plus tard, je trouve au courrier le pro-gramme 2013 et le bulletin de réservation ren-voyés par Bayreuth après ma première demande… Le rêve n’est pas fini, ce n’était que le commencement !

François Vassogne