Virginie Dejos

Un voyage à Bayreuth

« Bayreuth ». Ce nom évoquait, pour moi, le lieu mythique, et un peu irréel, inaccessible rendez-vous de mélomanes wagnériens pas­sion­nés. Grâce au Cercle Wagner de Paris, j’ai pu, moi aussi, faire ce « voyage à Bayreuth ». Je dois avouer qu’à part un grand nombre d’enregistrements historiques du festival écou­tés et réécoutés, analysés, étudiés et comparés lors de ma monomanie tétralogique pour prépa­rer Rheingold, l’été dernier, je ne connaissais pas grand-chose du festival et de ses usages.

Après un vol, assez rapide, jusqu’à Nurem­berg et la visite de la ville, son château et ses églises, je suis arrivée à Bayreuth. Le séjour, en tant que boursière, m’a permis de rencon­trer un grand nombre de jeunes musiciens, chan­teurs, chefs d’orchestre et metteurs en scène, et de mettre en pratique une année inten­sive de cours d’allemand. Ces rencontres ont été riches par leur diver­sité et l’ambiance sympathi­que entre les boursiers.

La Stipendiaten Aca­dé­mie 2016 a débuté, le lendemain de notre arrivée, par un cocktail de bienvenue au… Walhala, puis par la visite du Festspielhaus. La salle, étonnante de sobriété, est entièrement dédiée à l’Art, sans décorum super­flu. Le moment le plus intéressant a été la visite de la fosse. Elle est certes « couverte », mais cet effet est surtout visuel, afin de rendre l’orches­tre invisible aux spectateurs. L’effet acous­ti­que provient sans doute plus encore de sa profondeur étonnante, sous la scène, et de la dis­po­si­tion très spécifique de l’orchestre, vou­lue par Wagner. Le son orchestral est ainsi très spa­tia­lisé, avec une inversion entre violons 1, à droite, et violons 2, à gauche, les alti devant le chef. Les basses de l’orchestre et les cuivres sont ainsi « reculés » assez profondément, de plu­sieurs mètres sous la scène. Cette disposition donne un confort pour l’équi­libre entre l’orchestre et le plateau, dont nous avons pu profiter, le soir même, en écoutant Der Flie­gende Holländer, puis Par­sifal et Götter­dämme­rung, les deux soirs sui­vants.

Chaque journée dé­bu­tait par une conférence sur la représentation du soir, puis, après un déjeu­ner en ville, nous remon­tions vers le Festspielhaus et ses jardins, via un chemin balisé par des nains de jardin Wagner indiquant la direction de la montagne sacrée… Humour allemand.

Que dire des trois représentations ? Faut-il donc parler ou écrire sur une expérience que les mots ne pourront que réduire ou rendre si pauvrement ? J’ai été saisie, dès les premières notes du Holländer, par la sonorité de l’orches­tre, rendue souterraine, presque irréelle, par la fosse et l’acoustique. L’orchestre et le chœur sont absolument exceptionnels. La mise en scène, bien que huée, car l’action se situait dans une usine de ventilateurs, était très juste, et en accord parfait avec la musique. Chaque geste ou effet scénique était justifié par un motif musical. Cette mise en scène, exemple parfait de « Regie Theater », donne à voir la musique, et peu importe finalement si, en matière de bateau, on ne voit qu’une barque au milieu de cartons.

La nouvelle production de Parsifal, trans­posé dans une église de Mossoul, était vraiment très belle. Communauté chrétienne (Chevaliers du Graal), soldat américain (Parsifal), idolâtre (Klingsor), ou femmes se débarrassant de leurs burqas (filles fleurs) évoluaient dans cette église reconstituée, sous l’œil attentif d’un person­nage énigmatique. Dieu ? Au moins la figure du témoin qui témoignera, pour l’Histoire, de la folie des hommes. Pour le Götterdämmerung agité de Castorf, le seul défaut de la mise en scène semblait être… la musique. Le manque de contact avec le texte musical conduisait à une grande agitation sur scène et à la difficulté de se concentrer sur la musique. Que les membres du Cercle Wagner me pardonnent, j’ai terminé la représentation derrière l’une des rares colon­nes, afin de profiter de la musi­que. Le réalisateur de ciné­ma Francis Ford Cop­pola, rencontré à l’entracte, avec quelques bour­siers, se lamentait de ne voir ni château, ni Rhin, etc.

Les plateaux vocaux étaient de très grande qua­lité. Le chœur surtout était excep­tionnel, je n’avais jamais auparavant entendu une telle qualité de chœur à l’opéra. Inoubliables ténors dans Le Hollandais, super­bes Senta de Ricarda Mer­beth et Hollandais de Thomas J. Mayer. Je n’oublie­rai jamais la Kundry d’Elena Pankratova et le Gurnemanz de Georg Zeppenfeld. Pour Götter­dämmerung, excellents seconds rôles, vail­lants Stefan Vinke en Siegfried et Catherine Foster en Brünnhilde, superbe Marina Prudens­kaya en Waltraute. L’orchestre, excel­lent avec Axel Kober, s’est dépassé, dans Götter­dämme­rung, sous la direction passionnée de Marek Janowski, après une interprétation intelligente, mais un peu sage, de Parsifal avec Haenchen.

Je suis revenue de Bayreuth… littérale­ment wagnérienne des pieds à la tête ! Pour tous ces souvenirs inoubliables, je remercie, très sincèrement, tous les membres du Cercle Wagner de Paris et leur présidente, Annie Benoit.

Virginie Dejos