Aliénor Feix

Le voyage à Bayreuth

Lorsque, pour la première fois de ma vie, j’ai entendu la musique de Richard Wagner, je venais d’arriver à Paris pour mes études de chant. J’étais chez une amie, et j’entends, au loin, les accords du prélude de L’Or du Rhin. Je n’avais jamais connu, jusque-là, de musique aussi poétique, puissante et envoûtante. Les pre­miers sons des accords de mi bémol majeur m’ont renversée. J’ai été immédiatement sédui­te, et ce n’est que plus tard que j’ai compris que c’était un opéra ; pour moi, c’était une sym­pho­nie, un poème harmonique. Comment une musi­que aussi crépusculaire, aussi chargée, pou­vait-elle être l’incipit d’un opéra ? Tout était déjà dit.

Juste après, je suis rentrée chez moi, je me suis procuré le CD de la tétralogie, ainsi que L’Avant-scène opéra, à la bibliothèque de mon quar­tier, et je suis partie pour un voyage de qua­tre jours en compagnie de Wagner. Lire tout le livret, analyser les thèmes, les personnages, la mythologie, etc. Découvrir le monde musical de ce compo­si­teur, mais aussi son univers linguistique, sym­bo­li­que et poétique, a été, pour moi, un réel renou­veau. Je n’eus, dès lors, qu’une idée en tête : aller explorer le lieu magique où ses œuvres sont portées à leur apogée : le Palais des festivals de Bayreuth.

J’ai alors fait mes recherches : comment avoir accès à ce lieu mythique ? J’ai eu connais­sance du Cercle Richard Wagner de Paris, et j’ai ren­con­tré Annie Benoit, sa présidente, avec qui le contact a tout de suite été très facile. Après avoir déposé le dossier, et rencontré quelques membres, j’étais sur liste d’attente…

Pendant trois ans, j’ai attendu de pouvoir fou­ler la montagne wagnérienne. Trois ans de fan­tasmes, de lectures, de recherches sur le com­positeur, à apprendre à connaître son monde, à écouter diverses conférences, à pro­pos de son écriture, de son style musical, à écou­ter des philosophes parler de ses concepts. J’ai aussi eu la chance de pouvoir entendre beau­coup de Wagner – à l’Opéra de Paris, puis à Ber­lin – et de moi-même chanter, à l’Opéra de Paris, une version réduite de la tétra­lo­gie, et, plus récemment, à La Monnaie de Bru­xel­les. Trois années, de près ou de loin, reliée à la sphère wagnérienne. Et puis, c’est arrivé, en août 2019 !

Le premier jour, tout commence par le voyage. Quand je suis arrivée dans la région, par Nuremberg, en train, j’ai été immédiatement charmée par les paysages ; beaucoup de verdure, très abon­dante. Une atmosphère bucoli­que, où l’univers semble être un tout ancré dans cette nature luxuriante.

Puis, la rencontre avec les autres bour­siers. Le soir de notre arrivée, nous avons été con­viés à une petite récep­tion, ce qui nous a permis d’initier quel­ques relations et de ren­con­trer des jeunes du monde entier qui ont la même passion. Bien sûr, le contact avec les Français était beaucoup plus facile. J’ai sympathisé avec une chanteuse niçoise, une violoniste strasbourgeoise et une cheffe finlandaise.

Aliénor Feix
devant le Palais des festivals

Le deuxième jour, nous nous sommes rendus au Festspielhaus. C’était surprenant de découvrir un lieu d’apparence aussi modeste avec autant de prestige. Nous avons fait la visite de la salle de l’intérieur. C’est une salle aux dimensions humaines ; tout l’opposé de Bastille, par exemple. La décoration est sobre, jolie et discrète. Tout est en bois, et rappelle les théâ­tres à l’antique.

Pour moi, le plus surprenant, c’était la fosse ; c’est vraiment l’élément clé de cette salle. J’étais très émue de pouvoir la traverser. J’ai pensé à tous les chefs et musiciens talentueux, du monde entier, qui sont venus jouer ici. Le fait qu’elle soit si souterraine, cachée à la vue du public, lui donne un côté tout à fait mystique, et avoir la chance de pouvoir la traverser est très émouvant.

Le troisième jour, c’est le début du marathon wagnérien !

Alors là, j’ai compris toute la légende du lieu. Je me suis même dit « mais comment vais-je pouvoir en parler, expliquer et transmettre cette expérience ? » Pour moi, il est encore impossible de traduire cette émotion, ce bouleversement, cette expérience acoustique incroyable !

Le premier opéra auquel j’ai assisté, c’est Parsifal. C’est un des seuls opéras de Wagner que je ne connaissais pas. Ce fut une grande surprise, pour moi, de le découvrir en « live ». Les voix étaient surprenantes. Mêlées à la découverte de cette acoustique fabuleuse, c’était grandiose… J’ai mis un peu de temps à rentrer dedans, tellement j’étais submergée par le son (et l’émotion). J’ai beaucoup apprécié la direction musicale de Semyon Bychkov et l’équilibre vocal du plateau. Sans parler des chœurs, d’une qualité incomparable !

Le deuxième opéra, c’était Tristan et Isolde. La direction de Christian Thielemann m’a totalement séduite. Dès les premières mesu­res, les phrasés sont surprenants. L’orchestre s’étoffe dans l’infime détail sous la baguette du chef. Tout est joué, tout se déploie somptu­eu­se­ment, dans une len­teur mêlée à une noirceur à couper le souffle. Le prélude laisse présager un amour englué dans son fatalisme. Les voix m’ont moins touchée, mais sont néanmoins tout aussi surprenantes. Les deux rôles me semblent tellement surhu­mains.

Pour finir, le troisième opéra, c’était Tannhäuser. Je trouve que globalement c’était le plus équilibré des trois, mais, ce qui m’a bouleversée, c’est, avant tout, Lise Davidsen, que je connaissais déjà, mais seulement en enregistrement, et qui m’a littéralement subju­guée. Une voix immense, qui peut tout se per­met­tre, des nuances sublimes. Seulement âgée de 32 ans, cette chanteuse norvégienne m’a éblouie. Je suis une fan absolue ! Elle a su donner une dimension moderne, mais aussi très intime au personnage d’Elisabeth.

J’ai traversé beau­coup d’émotion durant ce séjour. C’était comme un voyage initiatique, une profonde intros­pec­tion, enveloppée dans cette musique si carac­té­ris­ti­que, avec ces voix incroyables, cette or­ches­tra­tion si dense et ce lyrisme débordant.

Je remercie chaleureusement les mem­bres du Cercle Wagner de Paris, et tout particu­lièrement Annie Benoit, qui m’ont permis de vivre une expérience extraordinaire. Cela m’a profondément touchée et nourrie. Ce fut un voyage fabuleux, dont je garde un souvenir unique.

Aliénor Feix