Wagner et l’acoustique de Bayreuth

Conférence donnée par Jean-Jacques Velly,
le 18 avril 2016, au Cercle National Richard Wagner – Paris

 

S’il fallait ne retenir qu’une idée, assez provocatrice pour les Wagnériens, de la conférence de Jean-Jacques Velly, ce serait celle-ci : l’acoustique de Bayreuth fonctionne très bien pour les opéras de Wagner, mais c’est plutôt l’effet du hasard, car le compositeur ne se préoccupait que de l’aspect visuel de ses œuvres et ne parlait jamais d’acoustique.

D’un point de vue théorique, une salle ne peut convenir à toutes les musiques, et, de tout temps, les lieux d’exécution musicale et les œuvres qu’on y jouait ont évolué. Dans les théâtres antiques en amphithéâtre, dépourvus de toit et essentiellement destinés au théâtre parlé, on constate que les Grecs avaient trouvé de façon empirique comment obtenir une très bonne transmission du son. Au Moyen-Âge, on jouait dans des églises, où le temps de réverbération pouvait atteindre parfois jusqu’à 10 secondes, ce qui magnifiait le chant grégorien. Par la suite (Renaissance, Baroque), les musiques allègres et rapides s’accordaient bien aux petites salles des palais, à la réverbération très courte. Au XIXe siècle, avec le développement du grand orchestre, on commence à construire de grandes salles, et l’on a besoin d’une réverbération un peu plus longue pour obtenir un son plus riche ; on doit entendre, en même temps, l’onde directe et l’onde réfléchie.

Quels sont les principaux types de salles ? Les théâtres à l’italienne, au temps de réverbération plutôt court, car initialement prévus pour le théâtre parlé ; les salles rectangulaires, de type « boîte à chaussures », où les multiples réflexions latérales offrent un bon résultat ; les théâtres en éventail (selon le modèle du théâtre antique, auquel on aurait coupé les ailes), là, le confort visuel est idéal quelle que soit la place : c’est le cas de Bayreuth. Enfin, la tendance moderne, qui va vers le théâtre en vignoble, où l’orchestre se situe au milieu. C’est le cas de la Philharmonie de Berlin et de la nouvelle salle de la Philharmonie de Paris. On peut constater que tout se joue au moment de la conception du théâtre : s’il est mal conçu, il faut ajouter, par la suite, des réflecteurs ou déflecteurs, qui n’arrangent pas toujours grand-chose… Aucune salle n’est idéale pour tous les types de musique.

Dès le début, Wagner a été obsédé par l’idée d’avoir une salle agencée selon ses désirs, car, pour lui, une œuvre n’existe qu’à partir du moment où elle est interprétée sur scène. Un premier déclic survient, dès 1837, à Riga, où il a accompagné sa femme Minna. Il y découvre un amphithéâtre en pente très inclinée, une fosse d’orchestre profonde et une salle obscure. Un second déclic se produit, à Paris, en 1839, où il a l’occasion d’écouter un concert au Conservatoire, derrière une cloison ; il perçoit alors le son différemment, et il en déduit qu’il n’est pas nécessaire de voir l’orchestre pour l’entendre ! Dans Une soirée heureuse, rédigé en 1841, il va encore plus loin, en affirmant que, visuellement, un orchestre qui joue est laid, et qu’il vaut mieux ne pas voir d’où vient le son ! Enfin, à Dresde, en 1844, il a l’occasion de discuter avec Spontini, lequel avait l’habitude de ne pas disposer les instruments de façon conventionnelle, mais de répartir les cordes de façon symétrique, avec les cuivres sur les deux ailes, avec les vents au milieu, la séparation des différents groupes d’instruments ne permettant pas la fluidité du son.

À Zurich, en 1850, il rêve d’une structure légère en bois ; en 1860/62, il réfléchit à un petit théâtre, qui pourrait être situé à Weimar, Paris (oui !), Berlin ou Vienne. À Munich, deux projets simultanés sont même ébauchés pour une installation temporaire, en bois, au milieu du Palais des Glaces, et pour un théâtre monumental sur les berges de l’Isar, dont la réalisation serait confiée au grand architecte Gottfried Semper.

Finalement, ce sera (sans enthousiasme) Bayreuth, parce que la ville, qui souhaite le fixer, lui propose deux terrains, l’un pour le théâtre, l’autre pour son habitation ; les projets de Semper sont alors réactualisés. Le chantier débute en 1871, mais c’est en 1873 que Wagner commence vraiment à conceptualiser ses théories. La construction dure de 1874 à 1876. Le financement étant évidemment difficile, on crée alors des cercles wagnériens, avec des actions émises, qui donnaient droit à des places pour les représentations ultérieures. Louis II de Bavière participe à ce financement. Selon Lavignac, le Roi souhaitait assister seul à une répétition. Las ! Dans le théâtre vide, la sonorité étant mauvaise, on fit alors rentrer la foule…

Le premier festival, avec le Ring, a lieu en 1876, mais c’est un échec, qui va pousser Wagner à concevoir un opéra spécialement adapté pour Bayreuth, Parsifal, qui sera donné en 1882.

Wagner ne veut pas que l’on voie l’orchestre, et il pense que les petites lumières des musiciens dérangent ; il veut le noir complet. Voulant une fosse encore plus profonde et en pente, il exigera la couverture d’une partie de la fosse, pour mieux isoler les musiciens ; il fera ajouter, par la suite, un autre écran pour couvrir les cuivres. Wagner prévoit aussi un dou­ble cadre de scène, permet­tant de faire croire que la scène est plus éloignée que dans la réalité, et où les acteurs paraissent plus grands. Au-dessus de l’amphi­théâ­tre, il y a cependant neuf loges et une galerie, qui sert maintenant au matériel d’enre­gis­tre­ment. Les specta­teurs entrent par des allées laté­ra­les, dont les murs per­met­tent une bonne réverbé­ra­tion du son. Tout est en bois, y compris le plafond.

Wagner utilise une répartition des instru­ments selon les concepts de Spontini. Cosima rap­porte, dans son journal, que « Richard s’emporte contre la juxtaposition des cordes et des vents ; l’ensemble doit former un tout, les vents produire un effet d’éclairage ». Pour Wagner, la compréhension du texte est primor­diale ; effectivement, dans la structure du Festspielhaus, les voix arrivent directement aux spectateurs, alors que le son de l’orchestre, qui doit sortir de la fosse en tournant autour des couvertures, est totalement réverbéré, avec un temps de réverbération d’environ 1,6 seconde.

Une vue fantastique de la salle, que seuls les chanteurs peuvent connaître,
depuis la scène, avec, en bas, un aperçu de la fosse d’orchestre

Quels sont donc les problèmes qui se posent, à Bayreuth, où tout n’est pas idéal ? Certes, les spectateurs sont totalement pris dans l’action, mais quid des musiciens ? Certains chefs aiment y diriger ; Boulez disait que la sonorité combinait clarté et fondu ; d’autres, comme récemment Alain Altinoglu, avouent ne pas s’y être sentis à l’aise. En effet, orchestre et chanteurs s’entendent mal, et la coordination est difficile. Les musiciens ont éga­le­ment du mal à s’entendre entre eux. Le chef et les chanteurs ne se voient quasiment pas. Les répétitions nécessitent donc un grand nombre d’assis­tants pour assurer la transmission entre les uns et les autres. Par ailleurs, on peut remar­quer que le son des cordes est plutôt pri­vi­lé­gié, en raison de leur disposition tout en haut de la fosse. Une autre difficulté est due à ce qu’il n’y a pas d’orchestre permanent à Bayreuth, mais un regroupement de musiciens qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, sauf pendant le festival, et qu’il y a très peu de répétitions, et peu de temps pour le travail par groupes d’instruments, par exemple.

Jean-Jacques Velly a illustré sa confé­rence par la diffusion d’un certain nombre d’enre­gis­trements comparatifs (à Bayreuth, en studio). Il est évident que l’orchestre semble plus présent, et les voix plus claires, quand l’enregistrement a été effectué à Bayreuth

Anne Hugot Le Goff