Que penser du Tristan et Isolde de Berlin 2018?

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Ce sujet a 2 réponses, 2 participants et a été mis à jour par  Anne HUGOT LE GOFF, il y a 2 ans et 3 mois.

  • #2852

    Anne HUGOT LE GOFF
    Modérateur

    Nombreux ont été, sans doute, ceux qui ont ouvert avec impatience leur télévision sur la chaine France4, mardi. Entre parenthèses: longue vie à cette petite chaîne menacée qui nous offre maintenant de l’opéra une fois par semaine, reprenant le rôle culturel que devait jouer Arte (qui maintenant est à peu près du niveau zéro de TF1 et nous saoule avec ses feuilletons policiers qui, pour être finlando-danois, n’en sont pas moins nuls, juste un peu plus rasoirs que les américains)
    Daniel Barenboim et la Staatskapelle pour la musique (magnifique même si je trouve que Barenboim a un peu tendance à étirer les temps) et Dmitri Tcherniakov à la mise en scène. Tcherniakov fait souvent des choses intéressantes (je pense à une sensationnelle Lady Macbeth de Mtsensk) quand il est « chez lui ». Peut il habiter Wagner? Là est la question. En tous cas il nous donne, malheureusement, ici, une vision inutile et assez bêtasse. Dans des décors d’une laideur!!!!
    Avant même que finisse le prélude orchestral, nous voilà dans l’univers de Tristan: la luxueuse cabine d’un bateau de croisière où le héros, en élégant costume/cravate, discute autour d’une table chargée de quelques drinks, avec d’autres costume/cravates (parmi lesquels Melot, sans doute, je n’ai pas fait attention) On peut penser à un symposium de travail d’une firme (King Marke Inc?) dont Tristan serait le DRH. Idée dont on ne voit pas très bien l’intérêt, mais qui de toutes façons ne sera pas développée.
    Isolde est impérieuse et revendicative. Ici, Bragaene est plus une collaboratrice et une amie qu’une servante. D’ailleurs, on peut se demander face aux dernières images si ce n’est pas elle qui va, finalement, épouser Marke dont elle a pris le bras avec autorité….
    Mais avec le filtre commence notre perplexité. Manifestement, ils n’ont pas bu un philtre: ils ont snifé du protoxyde d’azote. En guise de duo amoureux, les voila qui gloussent, ricanent et sautillent comme des collégiens boutonneux.
    Ça ne s’arrange pas au second acte; si Isolde est toujours montée sur ressort, Tristan est plutôt hébété et il s’endort même, le mufle, devant sa compagne. L’idée de mourir ensemble les fait quand même sautiller de conserve… Quant au dernier acte, il y a là encore un embryon de piste qui n’aboutit nulle part, la présence des parents de Tristan menant leur petite vie de tous les jours devant leur fils agonisant, ces parents dont l’absence précoce est, sans doute, la raison du caractère sombre du jeune homme. Mais bon: l’idée ne mène à rien.
    Ce qui est dommage, c’est que la direction d’acteurs est réglée au cordeau, que leurs moindres gestes sont signifiants, ce qui pousse à penser: tout ça pour ça?
    Celle qui tire le mieux son épingle d’un jeu frelaté, c’est Ekaterina Gubanova, plus ambiguë que la plupart des Brangaene, parfaite tant vocalement que scéniquement et qu’on aimerait bien revoir plus souvent! Stephen Milling, à l’impressionnant physique de tatar, est un roi impressionnant et monolithique; Boaz Daniel a, lui, un physique de sous-chef de bureau et on a vu des Kurwenal plus présents; bref, tous ces second rôles sont parfaits.
    Venons en maintenant aux héros. Les ténors wagnériens capables de chanter Tristan comme Siegfried ou Parsifal se comptent sur les doigts d’une main…. Mais, il faut le reconnaitre, Andreas Schager qui est peut être le meilleur d’entre tous n’a pas l’aisance scénique d’un Kaufman ou même d’une Vogt. Il faut l’aider; est ce en le faisant sauter partout qu’on l’aide? Pas sur. Anja Kampe est une grande Isolde, à la fois scéniquement et vocalement, d’une ironie mordante au premier acte, un peu trop illuminée dans sa transfiguration….. dans sa bien bourgeoise transfiguration, sur fond de papier peint immonde.
    Bref: il ne faudrait toucher à Wagner (comme à la loi, dixit Montesquieu) que d’une main tremblante…. On peut bricoler avec Tannhauser ou les Maitres. Voire le Hollandais. Mais Tristan? Ne faut il pas renoncer à le mettre en scène; le traiter comme un oratorio un peu long, une parabole philosophique un peu rasoir (quant au texte, eh, pas quant à la musique évidemment) sur l’union impossible du féminin -le mélancolique et suicidaire Tristan- et du masculin -l’impérieuse Isolde qui veut que tout s’incline devant ses désirs- (une chose qu’on ne peut pas reprocher à Wagner: chez lui, les femmes sont plus fortes que les hommes!), et sur l’impossibilité de reformer l’oeuf originel à partir du vivant. Sur le compromis tout aussi impossible de la passion et du devoir. Tout simplement: sur l’impossibilité terrestre de la passion qui, si elle se concrétise, s’évapore….

  • #2871

    Von Tronje
    Participant

    C’est avec plus d’appréhension que d’impatience que j’ai commencé à regarder ce qu’annonçait le programme : Tristan et Isolde.
    Dès que j’ai vu mémé Isolde en charentaise, dans son peignoir mal fermé avec une mine de lendemain de libations exagérées (en français = de cuite)
    j’ai pensé : tu t’laisse aller, tu t’laisse aller. Avec cet air en tête, peu compatible avec une vision sereine de l’ouvrage j’ai coupé la retransmission.
    Je ne les ai donc pas vu glousser ni sautiller, Je ne l’ai pas vu s’endormir pendant le duo.
    Tristan en écoutant la mélancolique mélodie du berger se remémore la mort du père et encore plus triste celle de sa mère.
    J’ai donc manqué la résurrection des parents, je ne le regrette pas.

    Si je vous suis généralement sur vos analyses des voix, vos critiques des mises en scène,
    je ne partage pas toujours entièrement les pistes alternatives que vous proposez.
    Mais là ! Tristan : un oratorio un peu long : ‘’sacrilège’’. Un texte rasoir : ‘’blasphème’’.
    En pénitence vous écouterez deux fois de suite Numance suivi de trois fois 4’30’’ de John Cage.

    Plus sérieusement essayez de vous procurer de Claude Lust aux éditions La Cité le « Wieland Wagner et la survie du Théâtre Lyrique ».
    Les propos sont datés mais il fournit une analyse de la scène V de l’acte I avec 11 croquis vis-à-vis de la partition.
    J’y ai vu l’explication du pourquoi j’avais trouvé ce Tristan génial :
    la progression dramatique n’est plus une succession de faits scéniques mais une progression visuelle des rapports expressifs des éléments représentatifs, chaque déplacement prenant un caractère de nécessité.

    Pour Richard Wagner le poème est indissociable de la musique, Wieland rajoute le geste (ou l’immobilité) à cette première union.
    C’est ce tout qui perfectionne le drame.
    Encore une fois : génial. Wieland parachève l’oeuvre de son grand-père !

    Laissons tomber Platon, Freud et tutti quanti.
    Laissons tomber tout ce qui rattache au jour :
    ‘’selbst dan bin ich die Welt – seul je suis moi, le Monde’’ le und disparait
    ’ewig einig ohne End – l’un à l’autre pour toujours = Eternel uni sans terme’’

    Tristan et Isolde (celui de Wagner) est plus qu’une passion terrestre, écoutez cela dépasse les mots même, pour toucher au sacré. (Rien que ça !!!).
    L’idée de l’oratorio : –drame lyrique sur un sujet sacré sans décorations, ni costumes dans un concert ou solennité religieuse- vient à votre esprit-.
    Alors ?
    Wieland supprime la décoration pour créer un espace, il utilise le cuir pour imiter la peau et éviter le costume, il a Bayreuth pour cette quasi solennité religieuse.

    Finalement votre intuition se révèle pertinente
    Mais il manque un Wieland.

  • #2878

    Anne HUGOT LE GOFF
    Modérateur

    Blasphématrice j’assume… Autant je suis fascinée par le Ring, avant tout! et Parsifal, autant Tristan m’ennuie vite; la musique, évidemment, est sublime, mais ces échanges morbido-mystiques entre les deux amants me rasent au plus haut point. Je dois être trop bonne vivante pour apprécier….. Cependant, je vous l’accorde, en comparaison avec ce Numance que vous eûtes la gentillesse d’enregistrer pour moi, Tristan, c’est carrément la Grand Duchesse de Gerolstein….
    En tous cas, ce qui est sûr, si de nombreux opéras se prêtent à une relecture, à condition qu’elle ne soit pas purement gratuite, chez Verdi, chez Puccini (Madame Butterfly se passerait si bien à Saigon pendant la guerre américaine… quant au climat homosexuel de Don Carlos, quoi de plus moderne?) pour Tristan, non: c’est à prendre ou à laisser. Malheureusement les metteurs en scène se jettent justement sur ces opéras là, qu’il faut respecter, pour en faire…. n’importe quoi!!

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