Marek Janowski

Rencontres du Cygne avec les adhérents,
le 23 mai 2018, dans les salons de l’Hôtel Bedford

 

C’est la troisième fois, depuis 1989, que le maestro Janowski se prête à une rencontre avec le Cygne. On ne s’étonnera pas de ce que, par­mi cette riche carrière de chef, de directeur musi­cal ou de chef invité sur les plus grandes scènes lyriques internationales (New York, Chica­go, San Francisco, Munich, Vienne, Paris, Venise…), ce soit sur le directeur d’opéra, et, plus particulièrement, de l’opéra wagnérien (avec, en point d’orgue, la direction du Ring au cours de la dernière saison de Bayreuth), que se soient focalisées les questions des membres du Cercle. Marek Janowski a enregistré une pre­mière fois le Ring avec la Staatskapelle de Dresde. Entre 2002 et 2015, à Berlin, il a dirigé tous les opéras de Wagner en version de con­cert, ce qui a été très bien accueilli par un public lassé de mises en scène moches et routinières…

C’est Clym qui lance la discussion : Pour lui, celui qui doit avoir le « final cut » dans une repré­sentation d’opéra, c’est le chef. Marek Janow­ski a-t-il eu des problèmes avec des met­teurs en scène ? Oh oui ! Il a, en particulier, de très mauvais souvenirs des représentations du Frei­schütz et des Maîtres chanteurs (mis en scène par Claude Régy) au Châtelet. Les repré­sen­tations ont été houleuses, mais cela a per­mis un beau succès de scandale… S’en est suivi une autre expérience désastreuse, à Munich, et Marek Janowski a décidé alors de renoncer à la fosse. Pourquoi donc le Ring de Bayreuth, pour deux saisons (Kirill Petrenko, qui avait assuré les trois premières saisons du cycle, n’était plus dis­ponible) ? Il l’explique très simplement : Il a, dans le passé, dû renoncer deux fois à diriger un Ring à Bayreuth ; au vu de son âge, c’était pro­ba­blement la dernière opportunité de le faire, et il ne fallait pas la laisser passer… En accep­tant de travailler avec Frank Castorf, typique repré­sentant de cette école est-allemande pour laquelle tout est politique et où toute mise en scène doit servir à dénoncer le capitalisme, Marek Janowski savait évidemment où il met­tait les pieds. Mais l’envie de diriger à Bayreuth était trop forte… Par ailleurs, il pense que, s’il avait collaboré avec Castorf, qui est un homme tout à fait accessible à la discussion, dès la créa­tion, les choses auraient été plus simples.

Les échanges avec la salle tournent tous autour des mises en scène actuelles. On rejoue la querelle des anciens (nous) et des modernes (personne, ou, du moins, personne qui n’ose affronter la vindicte publique en déclarant sa flamme à Tcherniakov et Warlikowski…). Sur les scènes germaniques, et cette tendance se répand ailleurs, en particulier en France, la primauté est donnée au metteur en scène. Tendance d’ailleurs pas si nouvelle que cela : Marek Janowski se souvient que Liebermann avait imposé, à Hambourg, une mise en scène contestable de Rigoletto – contestée, en tous cas, par Leo Nucci -, et que c’est bien Leo Nucci qui avait été remercié… C’est au directeur de l’opéra de trancher, lorsqu’il y a conflit, et ce n’est pas, en général, la musique qui gagne.

Le problème des metteurs en scène venus du théâtre, c’est qu’ils ne veulent pas comprendre les problèmes spécifiques des chanteurs. Leur positionnement sur le plateau peut être incompatible avec l’orchestre, ce qui rend très compliqué le rôle du chef. Par ailleurs, on ne peut demander le même travail à un acteur et à quelqu’un qui doit chanter en même temps ! Même si les jeunes interprètes ont beaucoup évolué sur le plan scénique, ils risquent toujours de perdre leur pulsation. Notre ami n’a pas de mots assez durs pour « les pseudo intellos qui font la loi dans les journaux » (il y a des oreilles qui doivent siffler). En lisant, a posteriori, leurs chroniques, le spectateur honteux se dit qu’il n’a rien compris… Pourtant, Marek Janowski constate qu’il y a une nouvelle génération d’amateurs d’opéra, cultivée, qui ne supporte plus les mises en scène traditionnelles qui les ennuient… et qui attendent autre chose.

On en revient aux problèmes spécifiques de Bayreuth. La direction du Festival choisit ses chanteurs en accord avec le chef et le metteur en scène, mais, si, au cours des répétitions, ça se passe mal, il est extrêmement difficile de trouver un(e) remplaçant(e) libre sur la durée du festival. De plus, les trois séries du Ring sont exceptionnellement concentrées par rapport aux saisons d’opéras (jours 1, 2, 4, 6), ce qui est très dur pour les Wotan, les Siegfried et les Brünnhilde.

À Bayreuth, la position des pupitres est fixée, avec les premiers violons à droite, et les cuivres et les bois qui ne voient rien de la scène. Cette disposition est idéale pour Parsifal, dont l’orchestration a vraiment été « fittée » (désolée pour l’anglicisme, mais je n’ai pas mieux !) pour Bayreuth. À part cela, rien n’est simple. Dans certains positionnements, le chef ne voit pas les chanteurs ; et même…, ne les entend pas. Le chef ne peut sortir de sa fosse pour aller dans la salle juger du rendement sonore, et doit donc se fier à ses assistants. Enfin, si le chef entend les chœurs parfaitement en accord avec l’orchestre, ce n’est pas le cas dans la salle…

Les répétitions commencent fin juin, ce qui veut dire qu’on réunira plutôt des musiciens d’orchestre symphonique que des musiciens d’opéra, car leurs saisons sont généralement plus courtes ; mais on comprend bien que tout cela demande une organisation très compli­quée. Le recrutement se fait sur la base du volontariat, et du bouche à oreille. Certains musiciens reviennent pendant vingt ans, d’autres ne font qu’une ou deux saisons. Il y a une liste d’attente énorme pour certains pupitres !

On doit à Jean-Loup Garcin une dernière intéressante question : Y a-t-il une mondialisa­tion du son ? Là-dessus, Marek Janowski est catégorique : Oui, la « sonorité française », en particulier, a disparu. Travaillant une sympho­nie de Brahms avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France, il n’a eu aucun mal à obtenir une sonorité… à l’allemande. Il y a eu une formidable évolution de la qualité des orches­tres, mais au détriment de leur personnalité. Les Wiener Philharmoniker sont peut-être les derniers à conserver un son spécifique. Les orchestres sont de plus en plus hétérogènes, avec des musiciens d’Europe centrale, américains, et surtout asiatiques… C’est la globalisation !

Anne Hugot Le Goff