Conférence donnée par Nicolas Dufetel,
le 11 décembre 2016, au Cercle National Richard Wagner – Paris
Une conférence passionnante, mais qu’il serait bien présomptueux de prétendre résumer… autrement que de façon fort imparfaite !
On a tout dit sur les relations mythiques entre Liszt et Wagner, mais on oublie que, sur le plan musical, quelque chose de fort les relie : la volonté de traduire la lumière en musique, non point la bête lumière d’un jour d’été, mais cette lumière surnaturelle, qui semble venir d’ailleurs, qui relie l’homme à la divinité, et que les peintres baroques et classiques ont tenté de restituer. Ainsi Liszt commente-t-il la Sainte Cécile de Raphaël, dont le beau corps semble prêt à se transfigurer : « Les nuées s’entr’ouvrent, les chœurs des anges lui apparaissent, l’éternel Hosanna retentit dans l‘immensité ». Hosanna : Liszt en a écrit de nombreux, tous éthérés et lumineux. Il s’agit bien d’un chant de louange extatique, et non de triomphe, qui doit être interprété avec douceur et recueillement : le Fini et l’Infini se rejoignent ; pour les catholiques, c’est l’Esprit Saint qui descend. La lumière, donc…
Il y en a un, en particulier, dans la Dante Symphonie, dédiée à Wagner, dans lequel il exprime toute sa reconnaissance. À un moment où les relations entre les deux hommes commencent à être relâchées, Wagner écrit un magnifique commentaire sur cette symphonie : « la création d’un génie libérateur, ayant délivré la volonté si indiciblement profonde de l’enfer de ses idées par le feu purificateur de l’idéalité musicale ». Toujours prompt à dire du mal de ses contemporains, Wagner ajoute que le public, pollué par Gounod et Schumann, n’est pas prêt à la comprendre… La symphonie compte trois volets : le purgatoire, l’enfer et la transfiguration (Magnificat – la vision de la Vierge et du Paradis, au-delà du corps). Liszt ajoute un Hosanna, inspiré du Stabat Mater de Palestrina. Wagner aussi a été fasciné par ce Stabat Mater, dont il a fait une transcription. Il parle d’une vision « hors du temps et de l’espace » liée à l’enchaînement harmonique.
Wagner a donc, lui aussi, cherché à rendre cette illumination céleste, en particulier dans Lohengrin et Parsifal. Baudelaire, comme Liszt, écrivent sur le prélude de Lohengrin. Que dit Liszt : « au commencement une large nappe dormante de mélodie, un éther vaporeux… », puis « comme si dans cet instant unique l’édifice saint avait brillé devant nos regards aveuglés, dans toute sa magnificence lumineuse et radiante ». Fantin-Latour réalise, en 1892, un tableau intitulé Le Graal. Prélude de Lohengrin. Un ange porte le calice sacré, d’où semble émaner une lumière surnaturelle. Lumière que l’on retrouve dans des eaux-fortes religieuses de Rembrandt comme de Gustave Doré, ou encore dans les puits lumineux de James Turrell, ainsi que dans des toiles comme l’Assomption du Titien, admirée par Wagner, où la Vierge émerge des brumes grisâtres du monde terrestre pour rentrer dans une luminosité dorée.
C’est aussi le sublime, das Erhabene. Wagner, dans son texte sur Beethoven, exprime la conviction que seule la musique peut relier au sublime : « sitôt qu’elle nous envahit, elle provoque l’extase suprême de la conscience de l’infini ».
Mais, c’est dans Parsifal que Wagner a parachevé cette recherche de la lumière surnaturelle. Parmi les mises en scène qui ont cherché à la valoriser, on peut citer l’originelle, de 1882, due à Joukovski, puis, dans les années 1940-1950, celle de Wieland Wagner. Laissons le dernier mot à Franz Liszt, qui écrivit que « Dans son Parsifal, Wagner monte encore quelques degrés de la mystérieuse échelle de Jacob, que l’art suspend de la terre au ciel. », puis, en 1883, sous le coup de la mort de Wagner, « Que le passé ne soit plus dérangé. Dans le cocon de son immortalité repose Richard Wagner. » (cit. dans Franz Liszt – Tout le ciel en musique – Pensées intempestives – choisies et présentées par Nicolas Dufetel, éd. Le Passeur Éditeur).
Anne Hugot Le Goff