Une belle journée de conférences à Lyon, sur le thème "Wagner et l'Orient"

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Ce sujet a 0 réponse, 1 participant et a été mis à jour par  Anne HUGOT LE GOFF, il y a 4 ans et 5 mois.

  • #2526

    Anne HUGOT LE GOFF
    Modérateur

    Après un dimanche passionnant (coupé d’un couscous peut être légèrement hors sujet mais délicieux, et en très bonne compagnie), quelques réflexions -en rien, un texte comme ceux que je rédige à partir des conférences parisiennes ; juste des réflexions, des impressions…. Et quelques questions.

    Non, pas une conférence, mais une journée d’étude complète avec cinq ou six orateurs sur un thème déterminé : voila quelque chose que nous n’avons jamais essayé à Paris, mais qui est récurrente chez nos camarades de Lyon. Pour cela, il faut, premièrement, un bon thème –Wagner et l’Orient, thème en or !! (même si casse-pattes, j’y reviendrai) et, deuxièmement, un ou deux très bons orateurs (qui à la fois connaissent le sujet et savent tenir un auditoire en haleine ; on peut être très savant et mauvais conférencier) qui « tireront » la journée.
    Pourquoi casse-pattes ? Parce que tout le monde croit savoir que Wagner était fasciné par le bouddhisme, mais quel bouddhisme connaissait-il ? Celui qu’il tenait de Schopenhauer, qui lui-même le tenait d’Eugène Burnouf (vous connaissez le jeu du téléphone qu’on faisait autre fois entre enfants ?), lequel Burnouf, s’il a le grand mérite d’avoir été le premier des orientologues, n’en a pas moins écrit beaucoup d’approximations. Spécialiste de l’Inde, il n’a pas bien fait la différence entre bouddhisme et hindouisme. Comment lui en vouloir ? C’est tellement compliqué. Le christianisme s’est greffé simplement sur le judaïsme parce qu’il s’agissait toujours de monothéisme. Le bouddhisme s’est greffé plus difficilement sur le védisme, parce qu’en Inde, il était difficile de se débarrasser de cette tripotée de dieux menant la vie à grandes guides sur le mont Meru. D’où le résultat que, dans le cycle des réincarnations, on peut se retrouver momentanément dieu (tout comme fantôme affamé d’ailleurs….) Comment un esprit formé à la logique occidentale peut-il s’y retrouver….
    En ce qui concerne notre bon Richard, il a assimilé le but du bouddhisme à la recherche du nirvana, de la transfiguration qu’atteindront Isolde évidemment, tout comme Kundry, semble t-il, Senta sans doute…. Alors que le nirvana n’est aucunement un but, mais la récompense après des vies entièrement consacrées aux bonnes actions, à la compassion, au sacrifice pour les autres ; s’il y a quelque chose de clair dans l’enseignement de Sakyamuni, c’est bien cela ! Le renoncement au désir, ce n’est pas le renoncement per se, mais le renoncement à ce qui ne permet pas de mener une vie tournée vers le bien. Pratiquer la compassion, était ce vraiment la préoccupation première de ce cher Richard ? Hum, hum…. Il se sentait bouddhiste parce que, dans un extrait de lettre absolument hilarant qui nous a été présenté, il vivait de la charité (en clair : aux crochets) de bonnes âmes….
    Mais il est clair aussi qu’au temps de Wagner, le proche-Orient fascinait les artistes, les peintres en premier lieu, évidemment, pensons à Delacroix, qui raffolaient d’un désert poétique avec tentes de bédouins, mais aussi fiers guerriers à sabre et surtout houris légèrement vêtues… L’opéra n’est pas en reste, cherchant son inspiration dans l’antiquité biblique avec Samson et Dalila, en Inde avec Le roi de Lahore, les pêcheurs de perle, Lakmé…. Le japonisme viendra un peu plus tard, avec la contribution musicale de Puccini ! En attendant, pour les romantiques, l’Orient, c’est le merveilleux « ailleurs »…. C’est le moment où Hugo écrit « les Orientales »…. « Ailleurs » qui mélangeait allègrement les mondes antinomiques du post-védisme et de l’Islam. Et d’ailleurs, même dans le monde islamique, que de commun entre l’Egypte et ses coptes, et le Yemen médiéval qui fit rêver Rimbaud….. Il nous faut donc, pour nous auditeurs, essayer de nous replonger dans l’état d’esprit du 19e siècle.

    L’invité spécial est Nicolas Dufetel qui, sur le thème « Vers l’Orient de Liszt, pour une nouvelle approche des questions orientalistes », délivre une conférence de haute volée ! Le contexte est bien casé avec Edward Saïd, cet écrivain et critique, ami de Daniel Barenboïm avec qui il fonda le West-Eastern Divan Orchestra et son ouvrage le plus connu datant de 1978, « L’Orientalisme : l’Orient créé par l’Occident », titre évolutif d’ailleurs au cours des rééditions et au fur et à mesure du progrès de la pensée anti-colonialiste….
    Bref, bien de son temps, notre cher Liszt rêve d’aller à Constantinople.
    Il n’est pas le premier : les Saint Simoniens ont fait le voyage avec Félicien David qui compose une mélodie sur « le chibouk », d’autres sur le désert. Et Liszt ne prévoit pas une escapade en solitaire : le voyage pourrait se faire avec Hector Berlioz, Georges Sand, Victor Schoelcher, Marie d’Agoult évidemment. De nombreuses lettres sont échangées. On envisage de partir à l’automne 1839 pour revenir au printemps 1840. On visitera Le Caire Smyrne, Athènes…. Patatras! Marie d’Agout tombe enceinte.
    Liszt ne fera son voyage qu’en 1847. Il y avait alors à Constantinople une vie musicale très active. On y voit un théâtre italien. Giuseppe Donizetti, le frère de Gaetano, a été nommé « pacha » et instructeur général de la musique impériale ottomane. Le Sultan Abdülaziz compose une barcarolle… son successeur, le Sultan Mourad, franc maçon, compose des mazurkas et est aussi peintre. Il se représente jouant du Beethoven avec sa famille….. Voilà des choses que l’on peine à imaginer, tant il semble évident pour l’occidental (inculte…) que la modernité de la Turquie date d’Attatürk !!
    L’autre question qui se pose, c’est : Liszt était il un compositeur orientaliste? Eh bien oui, Liszt le Hongrois a lui même un côté oriental ; les rhapsodies hongroises sont inspirées par les musiques tsiganes de Valachie, alors province sous gouvernance ottomane ; et, si on interprète certaines de ses œuvres avec des instruments orientaux, elles prennent une tonalité… intrigante !

    Un autre voyage qui nous sera conté par Michel Casse, c’est « Le voyage en extrême Orient de Siegfried Wagner », voyage effectué en 1892 avec son ami le pianiste Clement Harris, à une époque ou Siegfried envisageait plutôt de devenir architecte…Il semble que Harris ait eu, au cours de ce voyage, une influence déterminante pour pousser Siegfried à se tourner vers la musique, et renoncer à l’architecture….

    La matinée aura commencé par deux conférences plus directement reliées au bouddhisme dans la vie de Wagner. Bernard Reydelet pour « L’Islam et le Graal » s’appuie sur le Parzival du Minnesänger Wolfram von Eschenbach, qui est lui-même une relecture du Perceval de Chrétien de Troyes, dont Wolfram dit d’ailleurs grand mal.
    Qu’est ce que le Graal ? Un vase, un récipient, sans doute descendant de légendes celtiques où un chaudron magique permettait de transmuter des substances. Mais, si l’objet sacré est celui qui recueillit le sang du Christ, comment a-t-il été gardé avant d’être récupéré par les chevaliers ?
    Il est possible que la référence au Graal soit née à Tolède, ville ou coexistaient les trois religions monothéistes. Il est possible que le précieux vase ait été aux mains de confréries musulmanes…. Cette très érudite conférence était assez difficile à suivre, et j’attends avec impatience sa parution dans la nouvelle version des Wagneraria Acta !

    Marc Adenot parle de « L’empreinte des religions indo-iraniennes dans la vie et l’oeuvre de Richard Wagner » Dès ses premiers embryons d’œuvres, notre librettiste souhaite traiter de sujets en rapport avec l’Orient : L’heureuse famille des ours (1837) est une transposition inspirée des mille et une nuit ; pour La Sarrazine (1843) : le titre parle de lui-même. Enfin, dans Jésus de Nazareth (1849), c’est la première approche d’un rapport religion /drame. Mais ce Jésus là est un Christ socialiste ! La loi humaine du droit de propriété s’oppose à la loi originelle (donc divine) de l’amour. Le mariage lui-même n’est qu’une preuve de propriété Wagner ne reviendra au christianisme (si on peut dire…) qu’avec Parsifal après un long détour par le bouddhisme.
    C’est en 1853 qu’il lit Schopenhauer et en 1857 qu’il entame la composition de Tristan, imprégné d’aspiration au renoncement et à la mort, alors que pour un véritable mystique l’état recherché c’est la plénitude, l’exultation, la joie….. Schopenhauer fut un bien mauvais conseiller…
    Mais Wagner s’intéresse aussi aux religions de l’Iran ancien, le védisme qui essaimera en Inde, le zoroastrisme ; puis après Jésus Christ, le manichéisme et le synchrétisme. Elles mettent en jeu l’opposition entre le monde matériel et le monde spirituel. Là, c’est chez Nietzsche qui connaît bien ces religions que Wagner va puiser, ainsi que chez Arthur de Gobineau, qui fut premier secrétaire de la légation française en Perse, puis ministre au cours d’une longue carrière diplomatique. Wagner publiera Gobineau et ses théories raciales aussi fantaisistes que déplaisantes dans les Bayreuther Blätter.
    D’ailleurs, Parsifal n’est il pas issu du perse « parsi » pour pur ?

    Les deux dernières contributions de la journée sont consacrées à des opéras…. que Wagner n’a jamais écrit.

    Nicolas Crapanne s’est passionné pour « les Vainqueurs », drame sacré s’inspirant de la vie de Bouddha…. dont il n’existe qu’un maigre scénario d’une cinquantaine de lignes, écrites en 1856 à Zurich. Wagner est encore sous l’emprise du « Monde comme volonté et comme représentation » Notons que par contre il réprouve « La religion de Bouddha » écrite par Karl Friedrich Köppen. Il faudrait le lire pour savoir pourquoi, ce que nous nous garderons bien de faire….

    Pour terminer, Pascal Bouteldja nous fait découvrir « La Sarrazine, un opéra historique inachevé de Richard Wagner ». Inachevé, inachevé…. C’est vite dit puisqu’il n’en existe que le scénario détaillé (en 5 actes) ; on compte 14 livrets inexploités, mais pour moi, tant qu’il n’y a pas de musique, l’oeuvre n’existe pas….. Ce livret est donc, après Rienzi, encore un projet de grand opéra historique. On est chez les Hohenstaufen, à la mort de Frédéric II, un descendant de Barberousse, qui a un fils illégitime, Manfred, un dépressif pleurnichard, et une fille, Fatima (personnage inventé), plutôt du genre pétroleuse, fille d’une belle sarrazine, qui tente de persuader son demi-frère de reconquérir le trône de papa. Manfred, qui ignore ces liens du sang, tombe amoureux mais Fatima est fiancée. Heureusement il y a un jaloux, modèle Iago, qui cherche à se venger et tout le monde succombe. Wagner après le succès de Rienzi à Dresde se met à Tannhaüser et oublie Manfred. Il y repensera cependant en 1843 et proposera le rôle de Fatima à Wihelmine Schröder-Devrient, mais comme elle n’est pas enchantée, il laisse tomber…
    Pascal Bouteldja se plait à imaginer quel genre de musique aurait pu écrire Wagner…..

    Vous le voyez, quelle journée bien remplie ! Tous les textes seront publiés, et je pense que nous aurons tous envie de nous procurer le volume…

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